Face au vieillissement de sa population et à une pénurie de transports publics, la petite ville se projette dans le futur.
Lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Rio, l’apparition du Premier ministre japonais Abe Shinzô dans le costume de Super Mario a suscité l’enthousiasme de millions de personnes à travers le monde. Il a renvoyé l’image d’un Japon caractérisé par ses personnages d’anime comme Captain Tsubasa ou Sailor Moon et par sa haute technologie. “Abe-Mario” a ainsi rempli avec succès sa mission qui consistait à présenter Tôkyô qui accueillera les Jeux olympiques en 2020.
Super Mario constitue une publicité parfaite de ce Japon à la pointe de la technologie, tourné vers l’innovation et le développement scientifique. “En 2020, il ne sera pas rare de voir de nombreuses voitures autonomes dans la région de Tôkyô”, a déclaré, l’an passé, le Premier ministre lors d’un congrès scientifique international à Kyôto. Il a lancé un projet national baptisé “Programme de promotion de l’innovation stratégique”dont le but est de mobiliser les moyens de plusieurs ministères pour améliorer les technologies japonaises. Parmi les priorités, la voiture autonome figure en bonne place, incitant les grands constructeurs locaux comme Toyota à rejoindre ce projet d’envergure nationale.
Les Jeux olympiques sont souvent l’occasion de promouvoir de nouveaux moyens de transport innovants. En 1964, lorsque la capitale japonaise avait été l’hôte de cet événement sportif planétaire, le Japon avait inauguré le train à grande vitesse (shinkansen) entre Tôkyô et Ôsaka. Le shinkansen avait alors été présenté comme un “miracle japonais”, un symbole de la reconstruction économique super-rapide du pays accomplie en seulement 20 ans après la Seconde Guerre mondiale. C’était aussi l’époque où le pays enregistrait encore des records de naissances. Mais, au moment de l’ouverture des Jeux olympiques de 2020, le Japon sera la société la plus âgée du monde puisque la part des plus de 65 ans sera de 29,1 %. En d’autres termes, le Japon comptera quelque 36,1 millions de personnes âgées.
Si, dans la capitale, la voiture autonome est considérée comme un symbole de la technicité japonaise et une source de divertissement pour les millions de spectateurs qui assisteront aux Jeux olympiques, elle est perçue de façon complètement différente par les habitants de Suzu, une petite cité portuaire, située à 460 km au nord-ouest de Tôkyô, à la pointe de la péninsule de Noto. Ici, la voiture est une nécessité au regard du vieillissement rapide de la population et du manque de transports en commun. Depuis février, l’Université de Kanazawa et la ville de Suzu ont entamé une collaboration dans le domaine de la voiture autonome. Chaque semaine, les chercheurs procèdent à des essais dans les rues de la cité pour évaluer son niveau technique et relever les défis qui ne vont pas manquer d’ici 2020.
Suzu compte environ 15 000 habitants dont près de la moitié a plus de 65 ans. Comparée à la moyenne nationale de 27,5 % des personnes âgées, la ville constitue un exemple typique des municipalités confrontées au vieillissement de la population. Sur 6 496 ménages recensés, 1 344 sont des personnes âgées vivant seules, 35,5 % des personnes de plus de 60 ans sont actuellement à la recherche d’un emploi. Selon un sondage réalisé, l’an passé, par la mairie auprès des 4 649 foyers comptant des personnes âgées, près de la moitié a exprimé ses difficultés à faire des courses faute de permis ou d’automobile. Il faut compter 3 heures de route pour se rendre de Kanazawa, la principale ville de la préfecture d’Ishikawa, pour se rendre à Suzu. Il n’y a guère d’options de transport en dehors de la voiture, compte tenu du faible nombre de bus. Ces difficultés font que Suzu fait figure d’îlot culturellement isolé et historiquement préservé, en l’absence de toute influence extérieure. Entourée par une mer bleue dont les vagues rythment paisiblement le quotidien, la ville est très photogénique et pittoresque, avec ses maisons de pêcheurs traditionnelles dont les toits en pierre noire appelée noto-gawara et les murs en bois marron foncé font le charme. Elle appartient aussi à une zone enregistrée par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en tant que Systèmes ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM). Au-delà de ses paysages traditionnels, la petite cité bénéficie d’un vent de nouveauté à l’instar des 7 éoliennes implantées sur ses montagnes verdoyantes et de la grande centrale solaire installée au milieu des rizières. Ici pas de nucléaire, mais des énergies nouvelles alternatives qui résultent d’un long combat de la population locale contre la construction programmée d’une centrale nucléaire en 2003.
“Le gouvernement souhaite mettre en circulation des voitures autonomes dans la région de Tôkyô dans le cadre des Jeux olympiques de 2020. Nissan, Toyota, l’université de Nagoya et d’autres entreprises procèdent déjà à des expérimentations. Mais, dans un contexte différent, ces véhicules devraient être utilisés non pas dans les grandes villes, mais dans les zones frappées par la dépopulation. A l’instar de notre ville, 70 à 80 % des petites villes de province sont confrontées au problème du vieillissement et aux difficultés de transport”, souligne Kaneda Naoyuki, directeur général du département des Finances et de la Planification à la mairie de Suzu. “Je pense que la voiture autonome nous offre une solution pour résoudre ces problèmes”, assure-t-il. “Je ne vois que des avantages pour l’avenir de ma ville avec ce véhicule.” Le vieillissement ne concerne pas seulement les habitants, mais il pose des problèmes au niveau du personnel dans les transports publics comme les bus et les taxis. L’année dernière, l’âge moyen des chauffeurs de taxi était de 51 ans et celui des conducteurs d’autobus dépassait les 60 ans, rappelle Kaneda Naoyuki. Le recrutement de conducteurs dans les transports publics devient problématique. “En principe, seuls ceux qui ont des compétences particulières peuvent être autorisés à conduire des taxis et des bus. Mais grâce au véhicule autonome, même les conducteurs âgés ayant un faible niveau de compétences professionnelles pourront travailler dans les transports en commun dans un avenir proche”, estime-t-il. Actuellement, la ville dispose d’un réseau de transport public très peu développé. Il n’y a qu’une seule compagnie de bus et qu’une société de taxi. Dans certaines zones rurales, le bus ne passe qu’une fois par jour.